Commentaire d’André Micoud à propos de « Disposer de la nature »

Lors de la présentation de mon livre à la librairie « A plus d’un titre » (Lyon), le 12 novembre 2009, André Micoud m’a fait le grand plaisir de m’accompagner pour commenter ce livre. Il avait préparé un petit texte qu’il m’a permis de reproduire ici. Je l’en remercie chaleureusement. Merci également à la Librairie « A plus d’un titre » pour son accueil (et pour le pot final !).

André Micoud :

Disposer de la nature, Enjeux environnementaux en Patagonie argentine, Igor Babou, L’Harmattan, Paris, 2009, Librairie « A plus d’un titre », 4 quai de la pêcherie, Lyon ,le 12 novembre 2009, 18 h.

Un exercice dont je ne connais pas les coutumes ou les règles s’il y en a. Ce n’est pas une recension orale en direct, ni un compte-rendu ; ce n’est pas non plus un résumé du livre, certainement pas non plus un exposé par un membre d’un jury de thèse… Alors quoi ? Une manière de donner un avant-goût de lecture, une envie de lire ?

Je ne sais pas bien. Aussi, après avoir longuement médité, ou ruminé si vous préférez, ais-je choisi de réagir tout simplement comme j’ai l’habitude de le faire quand un ami me donne un texte à lire et me demande son avis.

Alors, mon bref propos consistera à commenter la phrase qui m’en venue à l’esprit :

Un homme nous parle d’un endroit…

Mais aussi : un homme qui, en nous parlant d’un endroit, nous parle aussi de lui…

1 – Un homme nous parle d’un endroit.

Pourquoi je dis « un homme » ? parce qu’il s’agit là d’un sujet, de quelqu’un qui dit « je » et qui nous dit d’entrée de jeu qu’il va dire « je ». Il est parti sur ses fonds propres, en prenant un congé de 6 mois sans solde (p. 21). Parce qu’il ne voulait avoir de compte à rendre à aucune institution (absence de commanditaire, absence de support institutionnel…, sortir des cadres, se déplacer pour aller y voir par lui-même. Il y était déjà allé il y a quelques années (p. 8) et il y est reparti pour 8 mois en juillet 2008 (après trois ans d’échange de courriers électroniques, un premier voyage en Argentine p. 22). (ibid). Parce qu’il voulait faire du terrain : comprenez, se confronter à une réalité vraie, sans les médiations habituelles, les appareillages conceptuels a priori. Un homme qui décide de se déplacer pour aller y voir par lui-même. Il y était déjà allé il y a quelques années (p. 8) et il y est reparti pour 8 mois en juillet 2008 (après trois ans d’échange de courriers électroniques, un premier voyage en Argentine p. 22)

Pourquoi je dis « nous » parle ? Parce que son texte – et cela se sent tout au long de son écriture – est une parole adressée. Certes, cette parole adressée est manifeste dans ces paragraphes repérables à une autre typographie et dans lesquels Igor s’autorise à parler de ses sentiments, de ses émotions… Mais en fait, la tonalité est bel et bien présente dans la totalité du texte. Toujours, l’auteur s’adresse à un lecteur. Pour essayer d’aller à sa rencontre ? Pour en faire un interlocuteur ? Comme ce soir ? ou plutôt comme on peut le lire dans cette même page 21 pour Faire partager au lecteur, plus que des interrogations : des inquiétudes.. Plutôt qu’un récit donc, il s’agit bien plutôt d’un témoignage, un témoignage informé certes comme on le verra plus tard, mais un témoignage tout de même.

Pourquoi nous « parle » ? Parce que, bien davantage qu’un discours, ce texte veut être une parole. Pas une publication supplémentaire, pas un texte instrumentalisé pour une future carrière, mais une parole au sens de l’acte performatif qui engage celui qui, avec elle, décide de s’exposer…

D’un endroit ? Et oui, et pas d’un endroit de la porte à côté ! Pensez-donc, un coin au sud d’un pays du Cône Sud. Comme si, plus le lieu était éloigné, et plus le dépaysement était garanti. Un endroit donc, un lieu… Et, s’agissant des lieux, des hauts-lieux plus précisément, pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, la chose m’intéresse depuis longtemps… Il y a d’ailleurs une phrase (p. 195) qui, au sujet de cette notion importante pour Igor du déplacement, et comme en passant, semble reconnaître l’inéluctable singularité de tout lieu. Et ce « quelque chose » qui assure la stabilité d’une observation et réintègre le fond par rapport au signal que constitue un déplacement, dans le contexte des relations de l’homme à la nature, c’est le territoire physique et sa topographie qui n’évoluent généralement qu’en suivant des temporalités dépassant le domaine de l’enquête ethnographique ».

Un lieu donc, forcément singulier, et un homme, forcément singulier lui aussi. Les deux d’ailleurs n’ont-ils pas chacun un nom propre, avec une initiale en lettre majuscule ? Alors, se demande-t-on, dans cette rencontre entre deux singularités, où va-t-il être question de science ?

Je ne peux pas m’empêcher à cet endroit – où il est question de la rencontre de deux singularité et de la science en même temps – de penser à Freud. Un Freud persuadé de faire œuvre de science – plus scientifique, voire scientiste, que lui tu meurs – et qui, comme a su le montrer Michel de Certeau, fût celui qui, plus que tout autre, a ruiné les fondements même de la science occidentale.

Rationalité et pouvoir : tout ira bien ? Tel est le titre – avec un point d’interrogation – du dernier chapitre de ce beau livre fiévreux. Mais qui, déjà, dès le premier chapitre avait commencé à ferrailler avec la rationalité instrumentale, le positivisme, la république des savants, la domination de la technique et du « progrès », les carcans disciplinaires…. Alors, au contraire ? Un livre qui parviendrait à faire toute sa place au vécu, au sensible, aux attachements ? Oui et non puisque son auteur ne cesse de se débattre justement pour tenter d’échapper à cette alternative stérile.

Je me souviens d’un de mes professeurs qui disait qu’il fallait des échafaudages pour faire une maison, mais que celle-ci était bien plus belle quand les échafaudages avaient été enlevés…

Le savoir scientifique, celui qui consiste à poser un objet hors de soi, devant soi, au risque de se priver tout ce que le connaître peut apprendre par les autres façons, celle de l’immersion, de l’implication, de la sensation sensible, du « être pris par le lieu » (Me attrapo el lugar) – quitte en ne pas en ressortir indemne – est-il devenu à ce point dévoyé qu’il ne soit plus possible d’y prétendre sans, du même coup, se faire complice de toutes ses conséquences délétères, de la domination, de l’instrumentalisation, de la superbe occidentale… ?

Voilà, à mon avis, la grande question qui traverse ce livre-témoignage….

Sans, naturellement, lui apporter de réponse.

2 – Pour, à travers cet exemple (exemplaire ?) comprendre plus à fond ce que nous faisons de la nature

Mais, bien sûr, ce livre n’est pas qu’une parole abstraite ; il nous parle d’un lieu précis et de ce qui s’y passe très concrètement. A ce titre, il est vraiment ethnographique, pour peu que l’on s’accorde à reconnaître que la vraie spécificité de cette discipline se tient bien avant tout dans sa méthode : circonscrire un objet-terrain et tenter de le décrire en totalité. Nicolas Dodier et Isabelle Baszinger ont écrit là-dessus un article fondamental1. On pourra lire aussi l’ouvrage de Daniel Cefaï2.

Comment rendre compte totalement, exhaustivement de ce qui se passe à tel ou tel endroit ? Bien sûr, Igor, dès les toutes premières pages nous prévient que telle n’est pas son intention. Même si, pour cela, il a pris ce qui est presque une île, la península Valdés en Patagonie argentine ou même, plus petit encore le village de 400 habitants de Puerto Pirámides. Non, Igor ne prétend pas qu’un tel programme de tout dire serait complètement hors de sa portée. Mais pourtant. Il s’agit bien « quand même », comme disait Octave Manonni, de faire tout son possible pour que… Et d’ailleurs Igor ne ménage pas sa peine. Le livre fait 212 pages, et il est écrit serré !

Mais là, je ne vais pas résumer le livre. Igor vient de le faire très bien. Vous verrez par vous-mêmes.

3 – Mais aussi : un homme qui, en nous parlant d’un endroit, nous parle aussi de lui…

Mais là, est-il besoin d’insister ? N’en ais-je pas déjà beaucoup laisser entrevoir ?

Notes :

1 – Nicolas Dodier & Isabelle Baszanger, «Totalisation et altérité dans l’enquête ethnographique», Revue française de sociologie, 1997, 38 (1): 37-66.

2 – Daniel Céfaï. L’enquête de terrain. Paris, La Découverte, 2003, 624 p., notes bibliogr. (« Recherches »).

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